lundi 31 octobre 2011

«A l'écoute des murs qui parlent».. A Ksar-Chellala, la jeunesse locale exprime sa malvie par des graffiti dans la ville.

El Watan - Lundi 29 mars 2010

KARIM OUARAS. Doctorant en sciences du langage. Chercheur associé au CRASC
«A l'écoute des murs qui parlent» Propos recueilli par Zineb A. Maïche

Quel est le but d'un travail de recherche sur la pratique du graffiti ?
Etudier et analyser les graffiti n'est pas une simple affaire de curiosité. Les graffiti constituent une pratique langagière effective qui a ses propres règles et ses propres stratégies. Les contenus des graffiti interpellent et renseignent sur les dynamiques qui façonnent l'espace humain. Dans l'Antiquité, les graffiti figuratifs – ceux de Pompéi, à titre d'exemple – contiennent, en plus des renseignements sur les armes et les vêtements des soldats, des renseignements précieux sur le déroulement des combats et de la vie quotidienne des combattants. En somme, ils constituent l'une des plus importantes références écrites de cette période de l'histoire. En 1968, les murs de Paris ont servi de support à la contestation et au ras-le-bol de la société. J'appréhende donc les graffiti, dans mon travail, comme une marque linguistique et discursive, porteuse de sens pour la ville.

Que pensez-vous de ceux de Ksar Chellala ?
Là, on est bien dans la polarité sportive, on voit sur les graffiti de Ksar Chellala une forte présence des couleurs nationales. Ces slogans, sportifs à la base, expriment des discours qui dépassent largement le domaine du sport pour embrasser d'autres préoccupations, d'ordre politique, en réaction à l'agression subie par l'équipe nationale avant le match Algérie-Egypte du 14 novembre 2009. Les jeunes ont répondu présent via leurs marquages, leurs tenues vestimentaires et leurs musiques qui expriment un patriotisme très prononcé. Cette démonstration est une leçon d'histoire, pas des moindres. Ah ! si jeunesse pouvait, je dirais. Ces représentations scripturales ont pu reconfigurer les rapports à l'identité et à l'amour du pays et ont pu se réapproprier l'espace public en le marquant d'une empreinte patriotique.
Du jour au lendemain, le peuple algérien retrouve l'espoir d'une vie meilleure et des perspectives d'avenir en s'identifiant aux exploits et aux prestations de l'équipe nationale.
Pour revenir aux photos de Ksar Chellala, le langage guerrier est plus que constant, il est le fruit d'une actualité amère. Ce qu'on remarque sur les photos, c'est qu'il y a un agencement entre le discours iconique et le discours linguistique, les deux se complètent et se conjuguent. La communication peut se transmettre et se faire sur le mode «i magique». L'image est nécessaire pour montrer et particulariser ce qu'elle représente. La signifiance d'une représentation artistique peut être exprimée par le rapport auteur/œuvre ou par les éléments inhérents à l'œuvre même. Le mot, quant à lui, permet de démontrer et de généraliser ce qu'il signifie. Les graffiteurs se servent des deux pour mettre en valeur leurs discours. Ils mettent en œuvre une symbolique originale de l'emblème national. Dans l'énoncé d’un des graffiti, on lit en arabe algérien et sur un air poétique un hymne à l'emblème national : «Le sang a coulé, le sang est la couleur de mon drapeau, mon drapeau est élevé, Dieu est cher, et au Mondial (Coupe du monde, ndlr), inch Allah, mon drapeau flottera». Cet énoncé poétique est écrit sur un dessin représentant l'emblème national réalisé sur la devanture d'une habitation. Sur le plan linguistique, on voit bien que l'arabe algérien a droit de cité, n'est-ce pas ? Un autre graffiti présente une démonstration figurative de la tension qui a suivi l'épisode tragique du Caire. L'Algérie est représentée sous forme d'un fusil aux couleurs nationales chassant l'Egypte représentée sous forme d'un lièvre aux couleurs nationales égyptiennes. Pour accentuer ce discours, le graffiteur procède à la nomination de ses œuvres. La gâchette du fusil, c'est l'Algérie, le lièvre, c'est l'Egypte avec un commentaire au milieu «gagnants». Les représentations figuratives renvoient directement ou indirectement à un certain nombre de faits réels ou imaginaires. Emile Benveniste précise à juste titre que «les relations signifiantes du langage artistique sont à découvrir à l'intérieur d'une composition. L'art n'est jamais ici qu'une œuvre d'art particulière, où l'artiste instaure librement des oppositions et des valeurs, dont il joue en toute souveraineté, n'ayant ni de ‘‘réponse’’ à attendre ni de contradiction à éliminer, mais seulement une vision à exprimer, selon des critères, conscients ou non, dont la composition entière porte témoignage et devient manifestation». (1)

N'y aurait-il pas moyen de conduire ces jeunes vers des voies artistiques, si l'on considère qu'il y a de l'art dans ces modes d'expression ?
L'art y est, les graffiteurs sont des artistes à part entière, ce qui manque, c'est plutôt les reconnaître en tant que tels. Leur présence murale a toujours été assimilée à ce que l'on appelle, à tort, la pollution visuelle. C'est plutôt une communication qui relève de l'ordre du visible et du lisible, une communication «vi-lisible». Les graffiteurs s'investissent énormément dans un travail de création linguistique et artistique. Ils font tout pour réussir leurs œuvres et ils les soumettent au regard et au jugement des usagers de la ville. Ils développent une grammaire, disons agrammaticale, propre à eux, très loin des préceptes normatifs imposés par la société et/ou les politiques et mettent en évidence l'agencement graphie-signe dans leurs œuvres. Je considère que sortir des usages normés de la langue, les usages in vitro, est une forme d'art, une création, les graffiteurs sont des champions en la matière. Les «hittistes» font tout pour contrer tout ce qui est contre eux. Les graffiteurs donnent aux mots une matérialité, parfois les mots deviennent des dessins par le rapprochement qui se réalise entre l'écriture et le dessin, les graffiti de Ksar Chellala sont représentatifs à cet égard. Tout ce jeu de mots et de signes interpelle le regard du passant, un regard contraint de se projeter vers l'extérieur pour déchiffrer et comprendre ce que les graffiti instaurent comme communication «vi-lisible» dans nos villes. La rue devient une sorte de livre à ciel ouvert, elle dit la diversité de la ville à travers des graffiti plurilingues et une multitude de discours. Les graffiti expriment, à travers les mots et les signes, la nécessaire intention de communiquer et de se dire qui est le fondement même de ce que l'on appelle un message. Z.A. M. 

1 commentaire:

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