Semaine du 18 au 24 Février  2009   
Il y a deux années nous quittait
 Abderrahmane Mahmoudi,  après un courageux combat contre une longue maladie qui a finalement eu  raison de sa volonté de rester parmi les siens et pour poursuivre ce  qui l'a le plus distingué, son engagement sans faille et inébranlable au  service de l'Algérie. Au lendemain de la pénible épreuve traversée par  sa famille et les équipes des deux journaux qu'il a fondés, «Les Débats»  et «Le Jour d'Algérie», de très nombreuses marques de solidarité, de  soutien moral et d'évocation du parcours professionnel et militant du  défunt sont parvenues, émanant d'amis du monde politique et de la  corporation ainsi que de nombreux citoyens anonymes. Parmi ces  témoignages, sans intention sélective, puisqu'ils colportaient tous,  sans exception, la même charge émotionnelle, nous reproduisons ces  articles qui retracent des regards mais aussi des tranches de  l'itinéraire exceptionnel d'un homme exceptionnel.
Editorial
De la liberté et des roses
Le  troisième millénaire est déjà bien entamé et l’humanité est encore en  butte au problème de la femme. Pas de la même manière partout, ni avec  la même  intensité, selon qu’elle soit riche ou pauvre, mais la femme  reste encore l’objet d’une ségrégation et d’une exploitation difficile à  admettre lorsque nous savons que son ventre est la source de la vie,  que son affection en est l’écorce protectrice et que sa douceur est ce  qui la rend vivable.
Incroyable paradoxe qui fait de  l’excroissance de la femme que nous sommes son tuteur et parfois son  tyran. Terrible privilège de la force et de la brutalité sur  l’intelligence et la disponibilité. Car pendant que la femme allaite les  enfants, prépare à manger, lave le linge et rend propre la maison, sa  cruelle moitié joue aux cartes, se saoule la gueule ou se prélasse comme  un roi fainéant devant la télévision, par on ne sait quel privilège. La  question que nous pouvons alors nous poser est de savoir pourquoi la  femme accepte-t-elle des relations aussi injustes ? Pourquoi se  soumet-elle aussi passivement à un diktat aussi inique ? La peur ? Rien  de moins sûr ! Les dix ans de terrorisme que nous venons de vivre et les  huit ans de guerre d’ indépendance ont suffisamment démontré qu’à bien  des égards, les femmes savaient montrer plus de courage et de  détermination que les hommes. L’exemple de Hassiba Ben Bouali et de  Katia Bengana, pour ne citer que ces deux héroïnes de moins de vingt  ans, est suffisant pour nous laisser voir une force et un engagement qui  n’ont rien à envier à celui de leurs frères. Les dernières découvertes  en matière de psychisme humain ont à ce propos établi avec la plus  grande netteté que la femme est de loin beaucoup plus résistante  nerveusement et plus forte en endurance physique que l’homme. Quant à  l’intelligence, il serait tout simplement ridicule de vouloir encore  revenir sur le sujet après que des femmes eurent effectué des séjours  dans des stations orbitales et que d’autres soient sur le point d’être  nommées général de l’ANP.
Pourquoi les femmes acceptent-elles donc  leur statut de mineures dans les sociétés peu développées et celui de  rivales indésirables dans les autres ? Car c’est bien d’acceptation  qu’il s’agit et non de domination. Si les femmes le voulaient vraiment,  cet ordre inique qui les maintient dans leur injuste condition volerait  en éclats en quelques heures seulement. Le temps qu’elles décident de ne  plus faire à manger, de ne plus s’occuper seules des enfants, de ne  plus tenir la maison et de ne plus se prêter aux caprices sexuels de  conjoints trop souvent ignorants des choses de l’amour. Si les femmes  ont su s’opposer au colonialisme, parfois les armes à la main, si elles  ont défié le terrorisme à visage découvert, rien ne les aurait empêchées  de remettre en cause la suprématie de mâles immatures, violents et dans  bien des cas inutiles. Elles ne l’ont pas fait, non pas par peur, mais  par commisération, presque par pitié. Plutôt que de casser l’homme, ce  qu’elles peuvent faire, à tout moment si elles en avaient vraiment  envie, elles préfèrent l’aider à évoluer. Lentement, difficilement mais  sûrement. Pays par pays, famille par famille, couche sociale par couche  sociale, couple par couple, elles font avancer le mental de leur  partenaire, le rendant libre pour se libérer elles-mêmes. Elles ne  veulent pas de victoire sur l’homme, sinon elles l’auraient obtenue  depuis longtemps. Ce qu’elles veulent c’est une victoire de l’espèce,  une victoire de l’esprit sur la force, une victoire de l’amour sur la  haine et de la tendresse sur la cruauté. La liberté pour laquelle elles  luttent, en silence, elles la veulent d’abord pour l’homme car c’est  ainsi que la leur sera parfaite. Pour cela, elles ont décidé de miser  sur le long terme.
Entre-temps, chaque année qui passe voit la  condition de la femme s’améliorer un peu plus dans chaque contrée du  monde où l’homme se sent plus libre.
En Algérie, comme ailleurs,  ce sont les hommes qui, à présent, se battent pour l’émancipation des  femmes et lorsqu’ils ne le font pas par conviction, ils le font par  calcul. Ce n’est pas pour rien qu’à chaque Saint-Valentin et tous les 8  Mars, il n’y a plus une seule rose sur le marché dès les premières  heures du jour.
Par 
Abderrahmane Mahmoudi
Il a publié plusieurs ouvrages
Mahmoudi l'écrivain
La majorité connaît 
Abderrahmane Mahmoudi le journaliste. Le défunt était aussi rongé par la passion de l’écriture.
Il  a  en effet publié plusieurs ouvrages traitant de diverses questions  auxquelles il accordait un intérêt évident. Doté d’un immense talent que  lui reconnaissent ses pairs du monde des medias, 
Mahmoudi  s’est ainsi  essayé  au  roman, avec succès d’ailleurs. La première  fois que «Dahmane», comme se plaisaient à l’appeler quelques familiers, a  trempé sa plume pour exercer ses talents d’auteur c’était pour écrire  «La face cachée du mensonge». A travers ce livre édité par la Maison  d’édition SEC, 
Mahmoudi  passe en revue les modalités  de fonctionnement du secteur de l’information du temps du parti unique  et évoque le combat sans relâche des journalistes algériens pour  consacrer le sacro-saint principe de la liberté d’expression. Achevé au  mois de mars de l’année 1991, cet ouvrage de 184 pages intervient dans  un contexte marqué par l’ouverture démocratique que connaît l’Algérie et  son corollaire, à savoir la levée du  monopole des pouvoirs publics sur   les medias et par conséquent la création de plusieurs titres de la  presse dite indépendante. Un vent de liberté souffle alors fortement sur  l’Algérie libérée, suite à l’épisode douloureux des événements  d’octobre 1988, des pesanteurs étouffantes du monolithisme politique.   L’auteur écrit que «ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays n’a rien  d’extraordinaire ou  d’inhabituel, puisque dans la quasi-totalité des  pays qui émergent du long sommeil du parti unique, la question de  l’information reste  le pivot de toutes les luttes et constitue l’axe  d’effort principal dans la voie de la démocratisation du pays». L’auteur  retrace  les différentes phases par lesquelles est passé le combat des  journalistes, à travers le MJA (Mouvement des journalistes algériens),  pour se défaire de l’emprise de l’appareil du parti unique et fait cas, à   la lumière de quelques exemples, des tentatives de récupération de ce  mouvement par d’autres centres du pouvoir. En cette période charnière du  pays marquée par la naissance de plusieurs titres de la presse  nationale de différents bords politiques sur fond d’après luttes  politiques,
 Mahmoudi termine son livre avec cette  conclusion lourde de signification : «Le moins que l’on puisse dire à  l’issue de cette modeste recherche est que si la presse algérienne a  bien changé depuis octobre 1988, cela n’a pas été nécessairement dans le  bon sens». L’auteur, il est vrai, fait ainsi montre de sa frustration,  lui qui considère que «… le multipartisme qui est le pendant de la  démocratie politique ne saurait avoir d’existence réelle que grâce à un  système d’information suffisamment diversifié et qui reflète avec plus  ou moins d’exactitude la vie politique
multipartisane». Homme aux  grandes convictions, l’auteur a toujours affiché au grand jour ses  certitudes, sans complaisance aucune. Il en est ainsi de son combat  contre le terrorisme qui lui valut d’ailleurs d’être la cible d’un  attentat qui a visé le siège du journal  L’Hebdo Libéré qu’il dirigeait  dans la première moitié des années quatre-vingt-dix. 
Mahmoudi,  qui n’était pas au siège du journal a ainsi pu échapper à cette attaque  terroriste. Dans son livre «Les financiers de la mort» qui traitait  justement du phénomène du terrorisme, édité à compte d’auteur, 
Mahmoudi  relève que le terrorisme dispose de puissants soutiens et de  ramifications à tous les niveaux et que, partout ailleurs dans le monde,  le terrorisme  est une question d’abord de colossaux intérêts  économiques. En Algérie, l’auteur donne l’exemple de plusieurs secteurs  d’activités économiques qui sont à la croisée de ces luttes d’intérêt et  ce, par terrorisme interposé. 
Mahmoudi écrit en effet :  «D’autres causes, d’autres acteurs se profilent en ombres chinoises  derrière les illuminés … ». Mais cela ne veut point dire que le  terrorisme islamiste est absout de ses crimes, loin s’en faut. L’auteur  place seulement cette problématique dans son contexte le plus large à  l’échelle mondiale où prédomine une course effrénée pour le leadership.  Le défunt, preuve d’un talent incommensurable, s’est aussi essayé au  roman. Avec succès d’ailleurs. Intitulé «Sous les cendres d’octobre»,  cette œuvre a été très bien accueillie par la critique à sa sortie en  1998. En tout cas, à travers sa disparition le monde de la presse perd  un de ses plus talentueux représentants qui a toujours eu le mérite de  dire tout haut ses convictions.
B. Zoheir
Je me rappelle…
J’apprends, avec une grande peine, ce dix-sept février la disparition de
 Abderrahmane Mahmoudi.
Or  une idée trottait dans ma tête depuis des semaines. Je ne sais quel en a  été le déclic. Je voulais lui écrire, m’entretenir avec lui, voire  envisager une  éventuelle collaboration  (si dérisoire en ces tristes  circonstances) au «Jour d’Algérie». Je  lisais assez régulièrement son  journal grâce à Internet. J’étais aussi un lecteur assidu de  l’hebdomadaire «Les Débats».  Comme par le passé, au pays, c’est avec  non moins  d’intérêt  que je recherchais, dans l’éloignement,  à  entendre  un son de cloche différent,  voire un point de vue paradoxal  avec le reste des publications – lesquelles offraient, au demeurant,   une lecture  incisive de l’actualité nationale en dépit des entraves  imposées et des prismes assumés.
Avec 
Abderrahmane Mahmoudi,  «l’imprévisible» comme le dépeint  avec à propos Abderrazek Merad  (El  Watan du 17/02/07). En effet, on  pouvait s’attendre avec lui à des  lectures détonantes de la réalité algérienne, de  ses contradictions,  ses luttes d’appareils et de pouvoir. C’est avec une fringale sans  pareille qu’il décryptait les flous artistiques de ce Machin mystérieux  qu’il nommait «la Centrifugeuse». Parfois, on avait l’impression que ses  décodages dépassaient la fiction.
Je ne savais pas qu’il était  malade,  atteint depuis 2 ans  par une «longue maladie». Et j’avais raté  l’éditorial où il rendait public le combat supplémentaire qu’il livrait  à l’inexorable. Je crois l’avoir vu  et discuté pour la dernière fois  en 2002, à la faveur d’un  Salon du Livre d’Alger. J’avais pris des  photos avec lui et d’autres anciens compagnons. Le regretté  Belbey  disparu dans un tragique accident d’avion d’Air Algérie.... Saddek  Aïssat qui présentait au Salon son dernier roman.... Ravi brutalement à  la vie et à sa famille. Au même âge auquel nous quitte
 Abderrahmane Mahmoudi.  C’est de loin, d’une rive lointaine d’Alger,  en cliquant ce matin  (comme à mon habitude)  sur le premier journal algérien sur le web, que  j’apprends la disparition de
 Abderrahmane Mahmoudi.
Dans le courrier électronique que je lui adressais mentalement :
Je me rappelle qu’il devait commencer par la phrase suivante : «
Abderrahmane, si ma mémoire est bonne, ton premier article dans un journal public date du 19 septembre 1975, et il avait pour titre :
«Emigration : une question de sous» (M. Valéry Giscard d’Estaing proposait 1 million -
10  000 francs français - pour inciter au départ volontaire les  immigrants...). En cette époque (de plus en plus lointaine et brumeuse),  il s’était proposé d’écrire un article en «internationale» pour la  publication balbutiante.  Le jour de la remise, je soupçonnais un  instant  que l’article (ce n’était pas le seul...) n’était pas achevé.  Il me rassura, alla dans un coin dans la petite pièce qui tenait lieu de  salle de rédaction. Au bout d’à peine 15 minutes, il revint avec son  article fin prêt.  Ce n’était pas la première fois, ni la dernière : 
Abderrahmane  avait une capacité inouïe à rédiger sur le vif un article, une idée, un  mot d’ordre. Il mûrissait jusqu’au dernier moment son article quitte à  passer pour un improvisateur.  Un improvisateur rare  et de haut vol.  Dans les nécrologies que certains de ses confrères lui ont consacrées –  ceux que j’ai pu lire, ils retracent sa longue carrière journalistique,  les titres où il s’est distingué et ceux qu’il a créés dans l’urgence et  l’adversité. Je tenais, afin de compléter le tableau, à ajouter l’un de  ses premiers jalons de son itinéraire éditorial. A «L’Unité» car tel  est le titre de cette publication singulière, sinon insolite, du moins  entre 1975 et 1980 (avant son embaumement progressif par la pensée  unique dominante dans les années 1980), il alimenta avec vigueur  la  rubrique internationale. Faut-il préciser qu’en ces temps, elle  était  vouée au credo anti-impérialiste (au risque de verser dans  l’incantation).  Il avait, auparavant, taquiné le journalisme dans une  publication ronéotypée publiée à la Faculté de droit à Ben Aknoun,   «CTZ». Autres temps, autres mœurs, disent les sages. Dans cette  attitude, en tout cas, il n’ y avait aucune once de calcul ni de pose  politicienne. Certains peuvent dire, à l’instar du film italien  «Nous  nous sommes tant aimés» : nous voulions changer le monde et le monde  nous a changés. Le libéralisme effréné – et les détournements d’utopie –  ont fait le lit de tant de repentances...
 Abderrahmane Mahmoudi,   sans complaisance post-mortem, a, me semble-t-il, fait partie de cette  constellation de compagnons des années soixante-dix qui se sont  astreints à garder incandescent le  franc-parler et  l’écriture  iconoclaste de leur jeunesse dans une approche parfois surprenante du  réel et de ses contingences, surtout aux heures noires de l’intégrisme  mortifère et des stratagèmes d’appareils. A contre-courant de grilles  les mieux établies. Quitte à surprendre amis et troubler compagnons de  route. Les mots ont leur amertume et les plumes leur désenchantement.  Surtout dans un pays où l’histoire vaut son pesant de poudre et de  sang...  Il avait à la fois la passion de l’idée et de l’action. Il  pouvait se tromper mais il a toujours payé au prix fort ses convictions  (la prison, la perte d’un frère, les interdits professionnels, des  traversées du désert, l’isolement...) Je l’ai perdu de vue –  professionnellement, géographiquement, pour ainsi dire, très tôt. Mais  je  n’ai jamais cessé de le lire et ses écrits n’ont jamais cessé  de  m’interpeller. 
Abderrahmane Mahmoudi n’a jamais laissé  indifférent combien même l’on n’arrivait pas à saisir la complexité,  voire les méandres de ses démonstrations. Elles pouvaient être  rugueuses, intraitables jamais paresseuses.  Et derrière la façade des  conduites et la distance de la posture, il habitait en profondeur la  bonté. Avec une élégance quasi-british qu’éclairait un sourire en  coin... Ahmed Ben Allem rappelle dans «L’Expression», que Abderrahmane  qui ne semblait  pas  tenir  en estime outre mesure  la poésie, en  écrivait discrètement dans sa jeunesse...
 Abderrahmane Mahmoudi était  originaire des  austères Hauts Plateaux. Plus précisément de Ksar  Chellala, connue également sous le nom de Reibel. La prononciation  populaire de Rebelle qui lui sied. En premier lieu dans sa profession.  En juin passé, j’avais acheté «Le Jour d’Algérie». J’ai lu et découpé  l’un de ces derniers éditoriaux, il avait pour titre «Khalifa et la  presse»... Je l’ai toujours. Paix à son âme et hommage à son parcours.  Et toute ma  sympathie solidaire à  son épouse et ses enfants en cette  douloureuse épreuve !
«Je leur avais parlé
J’avais senti leurs mains
Ils  avaient des enfants et même des défauts
Comme ils savaient sourire alors qu’il faisait nuit
Je les retrouve en achetant
Un journal
Ils étaient mes amis ils n’étaient pas des mots
Des chiffres ou des noms
Ils étaient mille jours et dix ans de moi-même
Le repas qu’on partage
La cigarette de l’ennui
(...)
Et ils sont devenus une âme et ma patrie
... Et je m’excuse
D’être vivant
Je suis plus orphelin qu’une nuit sans lune».
Ainsi écrivait le poète  Malek Haddad dans «Ils vont dans la légende».
Abdelmadjid Kaouah
Cugnaux, le  17 février  2007
L’étoffe d’un héros
Mahmoudi  s’envole, ses écrits restent. De n’avoir connu de loisir et de pratique  sociale que le stylo et la page blanche d’abord, le clavier et le micro  ensuite.
Il était habité par l’écriture jusqu’aux tréfonds de sa  pulsion communicative. Dans l’agonie, il a écrit, dans l’opulence, il a  écrit, dans la dèche, il a écrit, en temps de paix, il a écrit, et sous  le terrorisme, il a écrit. Il était imprégné et imbibé jusqu’à la moelle  de la plume, du journalisme militant et de combat. Il était moins  animateur de rédaction que chef de troupe et s’il fallait se convaincre  de sa trempe de héros, il n’est que de se souvenir du jour où, à  «L’Hebdo libéré», après être descendu pour constater le carnage  terroriste qui a emporté deux de nos collègues et son propre jeune  frère, il est remonté au siège du Golfe et ses premières paroles furent :  «Ecoute, j’aurai trois heures de retard pour l’édito» (on était lundi,  jour de bouclage).
Quelques mois plus tard, au confrère qui  avouait qu’il avait eu une peur bleue pour avoir marché cinquante mètres  au centre-ville en compagnie de
 Mahmoudi, l’auteur de  ces lignes a eu cette évidente remarque : «Et lui alors, qui est  toujours en sa propre compagnie…». Son courage physique et intellectuel  lui a valu bien sûr beaucoup d’ennemis, et il s’arrangeait toujours pour  en avoir le plus dans son propre camp. Ce serait trahir et la vérité et  sa propre mémoire que d’occulter son côté changeant, versatile diraient  d’autres et il était évident qu’il était assez rusé pour justifier ses  très nombreux retournements de principes par l’évolution inscrite dans  la dialectique. 
Mahmoudi était passé sans escale de la  fervente défense des idéaux marxistes léninistes, à la portée aux nues  du libéralisme économique, mais selon lui en restant fidèle à  l’enseignement premier du matérialisme dialectique et historique. Sur  cette base, il a assumé le changement continu et l’unité des contraires,  en poussant l’imprégnation de ces principes jusqu’à assumer, d’une  semaine à l’autre, l’expression d’une chose et son contraire.  D’ailleurs, s’il avait suivi un cursus politique et médiatique linéaire,  il n’aurait pas été 
Mahmoudi, tout simplement. Ses  pires ennemis, cependant, lui reconnaissent d’exceptionnelles qualités  professionnelles, édifiées sur un seul socle, celui de l’ardeur au  travail. Il se permettait rarement des reproches sur le niveau des  jeunes confrères et consœurs, notamment sur la sempiternelle question du  niveau, mais il s’étonnait et regrettait à juste titre qu’on puisse se  déclarer journaliste sans être un lecteur assidu de livres, quel qu’en  soit le registre, au demeurant.
D’une irréprochable probité morale  aux temps des années 1980, où des journalistes bénéficiaient de  privilèges contre des articles complaisants, il avait résumé devant nous  ce comportement, en désignant un collègue, par cette féroce formule :  «Si on l’envoie pour un reportage sur les handicapés, il est capable  d’acquérir une chaise roulante». Des formules fulgurantes, il en  produisait à chaque détour d’article, ne ménageant ni adversaires ni  alliés, usant avec brio du talent  de polémiste, mais il faudrait des  collections entières de journaux pour les citer toutes. On en gardera,  pour la postérité juste deux parmi des milliers, mais verbales, celle où  il décrivait certains décideurs comme ayant «une calculatrice à la  place du cœur» ou encore le jour où un confrère nous annonçait, tout  fier, qu’il était passé chef de rubrique, alors qu’il n’avait que trois  mois d’«expérience», Dahmane a eu cette cinglante répartie : «Mabrouk…  mais tu n’as pas honte ?».
Mais ses qualités professionnelles,  même si selon ses propres termes et avec humilité, il se réclamait plus  «du tract que de la rédaction journalistique», il savait les injecter  avec un naturel qui dissimulait l’ardu effort de réflexion, dans une  facilité d’écriture et de synthèse tout simplement admirables. Jusqu’à  ces dernières années, on pouvait avoir avec lui des discussions  passionnées sur les plus récentes techniques rédactionnelles, pour la  simple raison qu’à l’instar de tous les grands, il estimait à raison  qu’en journalisme plus qu’ailleurs, on n’a jamais fini son  apprentissage.
Durant son itinéraire, ni les 17 jours de prison au  début des années 1990, pour la série de «l’Hebdo» sur les magistrats  faussaires, ni le terrible massacre au même journal auquel il avait  échappé de justesse, ni les menaces venant de toutes parts, ni les  pressions, ni les appâts en tous genres, n’étaient venus à bout de sa  pulsion irrépressible vers l’expression médiatique. Rien de tout cela,  sauf le doute. Envahi au milieu de l’été 1995 par le flou et la perte de  repères, il a préféré, contraint et forcé par sa  seule raison,  d’arrêter ; et ce fut une longue traversée du désert qui aura duré sept  ans, avant un retour en catimini d’abord, sur les chapeaux de roues  ensuite, avec «Les Débats», puis «Le Jour». Toujours sur un rythme par  lequel il écrivait plus vite que son ombre, il produisait des éditos,  des analyses, des «études», des reportages, des couvertures, quelques  entretiens, un billet quotidien et ce, sans jamais se plaindre ou  montrer le moindre signe de fatigue ou de lassitude. Jusqu’au jour où…  Jusqu’au jour où le mot «fin» a été écrit, mais pour une fois l’auteur  n’était pas 
Mahmoudi, mais le destin…
Nadjib Stambouli
Aïch etchouf
Maradine oudal
Si  les règles qui s’appliquent à la transparence dans les relations  publiques entre les hommes et les femmes avec leur environnement, ont  été plus ou moins bien cernées et mises en œuvre dans notre pays,  notamment à l’occasion de la maladie du Président, il reste que nous  pouvons ici et là tomber dans ce qui peut se rapprocher de la  surenchère, si nous constations l’étonnant corporatisme vers lequel peut  parfois pencher la presse, qui, prompte à faire ses choux gras de la  santé de nos dirigeants, n’a pas toujours le bon réflexe lorsqu’il  s’agit d’elle. Et c’est contre cet enfermement quasi narcissique, qu’un  directeur de publication qui se bat contre un cancer particulièrement  malin et destructeur, devrait, comme je le fais ici, ne pas hésiter à en  informer ses lecteurs, ne pas hésiter ne serait-ce que pour justifier  des absences prolongées hors du territoire national avec tous les  inconvénients qui peuvent s’ensuivre pour tous. J’en profite aussi pour  remercier tous les confrères, proches et moins proches, hommes et femmes  politiques qui, comme de véritables membres de la famille, nous  apportent un soutien affectif et moral sans faille dans une épreuve  aussi douloureuse. A tous, un grand merci et continuez de nous lire tant  que la faucheuse n’aura pas dit encore son dernier mot, que le maradine  oudal ne nous aura pas emporté. Nous continuerons, pour notre part, à  rester fidèles à notre métier et à nos lecteurs jusqu’au bout.
Cheikh Ezemli
(Billet paru le 27 décembre 2006)
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